Pascal Chabot est un philosophe précieux. Après sa réflexion sur la qualité qui m’a beaucoup intéressé, il s’attache à la question du sens, « Graal » moderne qui semble même, dit-il, supplanter la recherche du bonheur et dont nous pouvons partout constater tant l’omniprésence que le flou.
Sur un sujet risqué par son ampleur, il propose et réussit un parcours réflexif accessible, concret et sensible qui a de nombreux mérites. Loin d’en rester à une philosophie « éternelle » qui serait loin de nos vies, il ancre profondément sa réflexion dans notre époque qu’il ne déteste pas. Il invite notamment à penser le changement des « circuits de sens », l’omniprésence d’un « surconscient » des réseaux numériques auxquels nous sommes de plus en plus reliés, et qui génère des conflits avec la conscience constituant de véritables « digitoses » selon son expression parlante, et dont l’impact sur la santé mentale nécessite d’être repensé.
On ne résume pas un livre de ce type qui emprunte de nombreux chemins. On peut simplement dire qu’on y trouve de nombreuses distinctions utiles pour penser et nourrir nos propres réflexions. Il revisite ainsi la distinction classique entre sensation, signification et orientation et la relie à des essentiels que sont la passion/raison, œuvrer à la qualité du monde, et le lien universel singulier. Il invite aussi à relier le sujet avec les questions fondamentales de l’amour et de la mort. Il nous parle à différents niveaux et les liens qu’il propose entre notre vie collective et ce qui travaille dans nos intériorités est utile et parfois très éclairant.
Plus généralement, dans une période qui voit « le sens » être souvent convoqué dans une perspective de management et aussi de manipulation, il constate comment le couplage de nombreux métiers à la technique crée des « machinoïdes », humains qui pensent comme des machines. « Souvent inconsciemment, ils se sont transformés en rouages, ont intégré les normes, les contraintes, les standards. Leur destin dans le système ? Ça ne les intéresse guère. Car la réponse est donnée dès le début : faire tourner le système. Tel est le triomphe du sens unique ». Car le sens n’est pas une production comme une autre ni une simple adhésion qui pourrait se susciter, via des recettes, des pensées positives ou des bonnes pratiques mais bien plus une émergence qui peut advenir… ou échouer. C’est une énergétique toujours à inventer et faire évoluer. Et comment ne pas partager son invitation conclusive à « choisir les voies de l’intensité face aux ordres du sens unique et aux nostalgies touchantes du sens perdu » en préférant l’aventure du « sens ouvert ».
Pour les acteurs de notre secteur, souvent déconcertés par une évolution qui attaque le sens qu’ils donnaient à leur action, accompagnant des publics eux même en questionnement sur ce qu’ils vivent, c’est une lecture que je recommande vivement.
On trouvera ci-dessous un lien avec l’émission passionnante de « La conversation scientifique »d’Etienne Klein[1] qui permet d’entendre la richesse des réflexions qu’il propose.